Oui, en pleine pandémie. J’y ai dirigé pendant près de trois ans la Kunsthall Trondheim. En tant que deuxième directrice de cette institution encore jeune, j’ai eu la possibilité de développer quelque chose de tout à fait nouveau. Mon programme a suscité une grande attention.
Aujourd’hui, vous vivez à New York. Quel contraste. L’auriez-vous imaginé à l’époque?
New York a toujours été mon objectif. La ville est incroyablement intéressante. Tant d’artistes fascinants y vivent, il s’en dégage tant d’énergie. Je voulais faire partie de cela, y contribuer. Lorsque le poste au Swiss Institute a été mis au concours, j’ai tout simplement postulé. Il ne s’agissait pas de quitter Trondheim, mais d’être ici.
Et alors, votre arrivée se passe-t-elle comme prévu?
Cela fait maintenant plus de deux ans que je suis à New York, et mon programme est en place depuis un an et demi. Oui, je me suis vraiment bien installée.
Avec quelles résolutions avez-vous pris vos fonctions?
Dans ma candidature déjà, j’avais proposé de nous concentrer sur les questions écologiques. Je ne parle pas d’écologie au sens de la nature perçue et comprise séparément de la culture. J’aimerais les considérer ensemble et réfléchir à la manière dont les petites à moyennes institutions peuvent fonctionner en ces temps de changement climatique. À New York, les institutions artistiques ou culturelles sont encore peu nombreuses à se pencher sur ce sujet.
Alors, il n’y en a plus que pour le climat au SI?
Non, le SI est bien plus diversifié. Pour moi, il est important de repenser les stratégies et les processus curatoriaux et institutionnels et d’inviter également les artistes à le faire. Ce qui m’intéresse, c’est la crise climatique, et tous les autres thèmes qui s’y rapportent. Les questions sociétales, sociales et philosophiques, d’économie et de technologie. L’intelligence artificielle en fait partie. D’un côté, elle nous permet d’élaborer des réponses, de réfléchir à des solutions, de l’autre, elle consomme énormément d’énergie.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement?
J’ai élaboré un plan en huit points avec mon équipe sur les mesures à prendre dans des domaines tels que les transports, l’énergie, les déchets ou les voyages, où il s’agit effectivement de réduire nos émissions de CO2. Par exemple, lorsque nous organisons une exposition, nous veillons à utiliser moins de matériaux et à les donner ensuite à d’autres organisations pour qu’ils soient réutilisés. Les artistes sont également invités à concevoir avec nous ce «8 × 8 Plan», qui sera d’ailleurs publié. Pour les émissions de CO2 inévitables malgré nos mesures, nous soutenons des fonds stratégiques pour le climat. Nous voulons ainsi contribuer au débat et être une source d’inspiration pour d’autres.
Quelle importance cela a-t-il pour l’art que vous montrez?
C’est l’autre aspect. Notre exposition «Spora», l’un de mes premiers projets au SI, en cours jusqu’à fin 2025, aborde le sujet d’un point de vue créatif, curatorial et artistique. L’artiste Helen Mirra, par exemple, a créé une œuvre pour notre escalier et peint les murs avec des restes de peinture de projets passés. Elle donne en outre des instructions sur la manière dont cette échelle de couleurs doit être utilisée à l’avenir dans d’autres domaines. L’œuvre de la Finlandaise Jenna Sutela s’inspire du «Muppet Show» et du personnage de Marjory, un grand tas d’ordures qui trouve des informations dans les déchets, et devient oracle. Nous avons désormais une sculpture en compost sur le toit de notre terrasse, où sont déposés les restes de repas de notre équipe. Des centaines de vers et des processus électrochimiques produisent de la chaleur, et ainsi, de l’énergie. Celle-ci alimente un haut-parleur qui rend des oracles.
Depuis 2018, le SI se trouve dans une ancienne banque rénovée et repensée par l’architecte Annabelle Selldorf. Le côté muséal vous manque-t-il?
Au contraire. Je trouve même bien d’avoir un bâtiment qui n’avait pas pour vocation d’être un musée. Nous sommes dans l’East Village, à Saint Mark’s Place, une rue chargée d’histoire, avec quelques coins singuliers. Chez nous, c’est pareil. On peut partir à la découverte. Dans toutes les pièces et les recoins de l’institution, il y a de l’art, et l’accessibilité est totalement garantie. On peut prendre son temps et entrer en réflexion avec le lieu.
À quoi peut-on s’attendre?
Au sous-sol, nous montrons avant tout des expositions et projets. Un ou une artiste met en œuvre une idée. Le rez-de-chaussée, avec un coffre-fort accessible, et le premier étage, où se trouve la bibliothèque dans laquelle nous sommes actuellement, sont réservés à nos expositions principales. Mais il nous arrive aussi d’occuper le bâtiment entier avec une exposition collective, comme c’est le cas avec «Ener-gies». L’art est partout, même dans l’ascenseur rose, une œuvre de Pamela Rosenkranz.
Le SI expose de l’art mais n’a pas de collection propre. Où vous situez-vous dans l’activité artistique locale?
Nous avons été fondés en 1986 par des Suisses en tant qu’organisation à but non lucratif, afin de jeter un pont entre les États-Unis et la Suisse. Nous nous rapprochons le plus de ce qu’on appelle une Kunsthalle, ou un centre d’art. Je trouve ce modèle européen particulièrement intéressant parce que l’on peut montrer, sans mandat de collection, les positions les plus actuelles de l’art contemporain. Cela nous permet de réagir de manière flexible et rapide.
Vous dépendez dès lors de la collaboration avec des artistes et des galeries.
Oui, l’échange direct avec les artistes est très important. Avec mon équipe, je réfléchis aux expositions que nous voulons montrer toute l’année. Puis nous invitons des artistes et voyons comment nous pouvons les soutenir. Nous permettons à de nouvelles œuvres d’art et projets d’exister et menons un dialogue curatorial à long terme. Pour moi, en tant que conservatrice, il est important non seulement de montrer les œuvres, mais aussi d’avoir une réflexion sur les pièces dans lesquelles elles sont exposées.
En quoi le SI se distingue-t-il d’autres institutions new-yorkaises?
C’est l’angle international et le caractère expérimental des expositions. Il n’est pas rare que le MoMA ou d’autres grands musées découvrent des artistes grâce à nous. Il y a quelques années, par exemple, nous avons réalisé une exposition avec Sandra Mujinga, après quoi on l’a retrouvée dans d’autres expositions de la ville. Son travail est désormais représenté dans des collections et des institutions. Nous soutenons autant des jeunes artistes que des positions qui n’ont pas reçu jusqu’à présent la reconnaissance qu’elles méritent. Souvent, le SI organise la première exposition individuelle d’artistes aux États-Unis et les présente à un nouveau public.
Sandra Mujinga est une artiste norvégienne d’origine congolaise. Quelle importance l’art suisse a-t-il pour le SI?
Nous montrons à la fois de l’art international et suisse. Il y a eu, par le passé, des expositions individuelles d’artistes suisses comme Niele Toroni, Latifa Echakhch, Nicolas Party, Urs Fischer, Ugo Rondinone ou Sylvie Fleury. Nous avons toujours été un tremplin et comptons le rester. Mais nous vivons dans un monde globalisé et les artistes suisses produisent et évoluent dans un environnement international. C’est pourquoi nous voulons aussi montrer leurs positions dans un contexte plus large. Notre dernière exposition portait sur l’artiste chinoise Shuang Li qui vit entre Genève et Berlin, et en janvier 2025, nous accueillerons l’artiste sud-africain Nolan Oswald Dennis. L’art contemporain est plus simple à comprendre lorsqu’on adopte une approche holistique.
Un nombre incroyable d’artistes célèbres, de conservateurs et de collectionneurs sont suisses. Comment expliquez-vous cela?
En Suisse, on croit profondément à l’importance de l’art. Il existe des institutions extraordinaires, des musées de portée internationale et des personnalités influentes. Lorsqu’une scène artistique active et saine encourage et soutient les artistes, cela se remarque au niveau international.
Comme tout, l’art est une affaire de goût. Qui détermine l’orientation du SI?
Notre conseil d’administration est responsable de la structure de l’organisation et choisit le directeur ou la directrice. Cette personne a alors la possibilité de façonner l’institut sur le plan artistique et des contenus. Avec ma formidable équipe, dont notre conservatrice senior Alison Coplan et notre directrice des partenariats Mojdeh Cutter, nous développons des idées d’expositions novatrices, mais aussi de nouveaux formats créatifs comme notre vente aux enchères de montres Time For Art, qui aura lieu en décembre avec Phillips New York.
Comment le SI se finance-t-il?
Stefanie Hessler rincipalement par des dons privés. Les fonds de Pro Helvetia ne représentent malheureusement plus qu’environ 14% de notre budget total. En revanche, nous avons su convaincre des fondations américaines. La prochaine exposition sera soutenue par la Terra Foundation, la Graham Foundation, la Teiger Foundation et la Helen Frankenthaler Foundation. La Warhol Foundation sera également sponsor. Et chaque hiver, nous organisons un grand gala qui nous permet de lever des fonds via la vente de billets et une vente aux enchères d’œuvres d’art.
Environ quatre millions. Les chiffres exacts sont disponibles sur Internet.
Parlons de votre nouvelle exposition «Energies». De quoi s’agit-il?
L’idée provient d’une histoire de voisinage qui remonte aux années 1970. Un groupe de personnes s’était réuni pour réfléchir à la construction de logements, à la gentrification et aux énergies durables. Sur un bâtiment non loin d’ici, dans la 11e rue, ils ont installé une éolienne et des panneaux solaires. Cela a contribué à l’adoption d’une nouvelle loi aux États-Unis qui a permis la production d’énergie verte. Lorsque je suis tombée sur cette initiative, j’ai contacté les personnes qui étaient impliquées à l’époque, et je les ai interviewées. C’était incroyablement passionnant. On peut vraiment changer les choses quand on s’unit et que l’on pense de manière positive et tournée vers l’avenir.
Mais le récit historique n’est que l’accroche de l’exposition.
Oui. Nous avons invité 19 artistes qui travaillent sur le thème de l’énergie. Leurs projets seront montrés dans nos locaux et dans les environs. Par exemple, il y aura sur la terrasse du toit une œuvre de Haroon Mirza qui, grâce à ses panneaux solaires, alimentera en électricité une autre installation à l’intérieur. Sur le bâtiment où se trouvait l’éolienne, l’artiste nigériane Otobong Nkanga réalisera une nouvelle fresque murale. Comme son œuvre traite des ressources, de l’exploitation et de la communauté, c’est parfait. Mais nous avons aussi quelques positions historiques, comme celle de Gordon Matta--Clark. L’artiste et architecte qui habitait également dans le voisinage, a planté en 1972 un rosier buisson dans le jardin de la Saint Mark’s Church. Mais il n’en reste plus qu’une structure métallique, alors nous allons, avec la propriété et la veuve de l’artiste, planter un nouveau rosier. Nous y apposerons un écriteau racontant cette histoire. Un autre travail historique est celui de l’artiste Becky Howland, l’une des organisatrices du légendaire Real Estate Show qui, en 1980, avait occupé un bâtiment vide du Lower East Side.
L’exposition «Energies» propose-t-elle des solutions pour changer la ville?
Nous prévoyons une publication, basée sur un symposium que nous organisons tout au long de l’automne. Ce livre sortira l’année prochaine. Par exemple, l’artiste norvégien autochtone Joar Nango s’est penché sur l’architecture du temps de ses ancêtres. Autrefois, les Samis construisaient des fenêtres avec des estomacs de poissons séchés. Il utilise maintenant ce matériau pour une installation, posant ainsi la question de savoir si tout doit toujours être réinventé. L’artiste suisse Gina Folly expose des photographies d’une plateforme flottante alimentée en énergie durable qui abrite des vaches laitières dans le port de Rotterdam. Louisa Gagliardi a créé une peinture numérique représentant une grange, qui s’intègre parfaitement à l’architecture du SI.
Un autre projet, de Cannupa Hanska Luger, imagine que de l’énergie solaire pourrait être partagée à l’aide de miroirs sur les toits de la ville. C’est très intéressant, car il en va du concept de «shared energy».
Tout cela n’est-il pas très vague?
Il ne s’agit pas, en premier lieu, de trouver des solutions. Le rôle de l’artiste est d’aborder des thèmes et de lancer de nouvelles idées. C’est également cette approche spéculative qui m’a fait entrer dans le monde de l’art. On peut y poser des questions sans avoir à se contenter de réponses finales.
Quel est le rôle de l’esthétique?
Elle est incroyablement importante. Nous sommes des êtres esthétiques, qui percevons le monde à travers nos sens. L’art visuel propose une autre expérience esthétique que la littérature, par exemple. Il nous parle, même lorsqu’on ne s’y connaît pas vraiment en art et que l’on se rend peut-être pour la première fois au musée.
Dans notre société extrêmement polarisée, il est de plus en plus difficile de prendre position publiquement. Cela influence-t-il votre travail?
L’art est politique comme tout autre domaine de la société. Pour nous, en tant qu’institution, il est donc primordial d’accueillir des opinions et des points de vue très divers. Nous voulons être un lieu où des humains de différentes origines se réunissent pour entretenir le dialogue. C’est précisément cela qui fait toute l’importance de l’art aujourd’hui..
«Energies», Swiss Institute, New York, jusqu’au 5 janvier 2025.