Pierre Hardy crée des chaussures et des bijoux chez Hermès

Le poète des Couleurs

Il travaille avec la subtilité d’un pointilliste, Pour Hermès, Pierre Hardy colore avec brio souliers et bijoux.

Sara Allerstorfer
27. nov. 2024
Pierre Hardy

Malgré l’heure tardive, Pierre Hardy arrive de bonne humeur. Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un créateur qui, sans la moindre posture de diva, contribue au succès d’une maison animée d’une réelle passion pour l’artisanat. L’an prochain, le Français fêtera ses 35 ans chez Hermès comme responsable de la conception des souliers et des bijoux. En parallèle, il déploie son énergie créative au service des chaussures et des sacs qu’il imagine pour sa propre marque.

Les formes de Pierre Hardy sont géométriques et structurées. Mais lorsqu’il emploie les couleurs, puissantes et impétueuses, on ressent l’éclectisme qui définit la collection actuelle de haute joaillerie d'Hermès.

BOLERO Votre dernière collection s’intitule «Les Formes de la Couleur». Vous êtes-vous inspiré de la synesthésie, ce phénomène par lequel deux ou plusieurs sens sont associés ?

PIERRE HARDY Pendant mes études d’art, j’ai découvert différentes théories sur les couleurs, dont celle, célèbre, de Johannes Itten. Ce pionnier du Bauhaus au début du XXe siècle associe les couleurs à des formes spécifiques: le rouge au carré, le jaune au triangle et le bleu au cercle. Ces associations, étayées par des expériences, semblent profondément enracinées dans l’imaginaire collectif. Quand on en prend conscience, les couleurs acquièrent une autre qualité, mais perdent un peu de leur poésie.

Comment parvenez-vous à leur rendre cette poésie?

En transformant cette perception en quelque chose d’unique. J’ai ainsi créé une série de bagues dans les trois couleurs primaires et les trois couleurs secondaires, en leur donnant ces formes archétypales – carré, cercle, triangle. Pour les souligner, j’ai voulu maximiser la saturation des teintes, même s’il m’a fallu pour cela associer différents types de pierres.

En général, peut-on dire que certaines teintes sont plus luxueuses ou modernes que d’autres?

Je n’établis aucune hiérarchie entre les couleurs. Il y a des harmonies qui m’enthousiasment moins. Quant à leur modernité, c’est comme dans la mode: aujourd’hui, les femmes recherchent plus de subtilité, moins de formalisme.

Comment concevez-vous une pièce de haute joaillerie par rapport à un bijou fabriqué en série?

La différence est énorme au niveau de la conception. Le fait qu’une pièce soit unique change la donne. Soudain, tout semble possible, ou presque, surtout chez Hermès. Ce qui ne signifie pas qu’il faille forcément le faire. Certaines étapes, telles que l’assemblage ou le travail du métal, laissent plus de place à la créativité, l’expérimentation, l’innovation. Toute la difficulté réside dans la gestion du temps, les exigences pratiques de la conception, l’histoire que je veux raconter.

Comment communiquez-vous avec les artisans en atelier?

La plupart du temps, à l’aide de croquis. C’est bien plus simple pour exprimer clairement des idées, voire des corrections. Un dessin ne laisse aucune place au doute.

Combien de temps vous faut-il pour finaliser un croquis?

Voulez-vous une réponse à la Picasso? Deux secondes et toute une vie!

À quelles limites êtes-vous confronté?

Au poids, à la pesanteur, surtout pour les boucles d’oreilles, les broches et les colliers. Je dois trouver une solution pour que les bijoux soient aussi impactants et spectaculaires que possible, sans dépasser les limites de la gravité. En revanche, le prix n’est lui pas une limite.

Hermès cultive la discrétion. Pourtant, «Les Formes de la Couleur» n’ont rien de discret.

Oui, vous avez raison. À un moment donné, il faut accepter que le point de départ de la création soit un diamant de 5 carats ou un saphir de 10 carats. J’essaie de créer une nécessité pour cette pierre précieuse, d’expliquer pourquoi elle doit être au centre, pour instaurer un dialogue entre elle et les éléments que j’ajoute. Le résultat final justifie la présence de la pierre au centre. Si on la remplace, cela modifie la forme et toutes les couleurs autour d’elle. J’ajoute quelque chose à la perfection, sans en masquer la beauté.

Êtes-vous déçu quand vos créations ne sont pas portées?

Je suis plutôt quelqu’un de contemplatif, donc je comprends tout à fait que l’on puisse acheter un objet uniquement pour l’admirer, pour sa dimension à part. La marque ne joue aucun rôle à cet égard. En tant que créateur, j’ai envie de croire que la forme a une valeur intrinsèque. Cela peut paraître prétentieux, mais je pense que c’est pour cela, entre autres, que nous achetons des objets.

D’où vient la magie de la joaillerie?

De sa rareté. Parfois, de son caractère unique. Les bijoux concentrent un savoir-faire à la fois immatériel et perceptible sur une toute petite surface: c’est en grande partie de là que découle leur attrait.